Contribution des élus écologistes à l’enquête publique sur le projet de centrale photovoltaïque de Levens
Nice, le 22 février 2023
Le Groupe des élus écologistes de la Métropole Nice Côte d’Azur et l’Eurodéputée Caroline Roose se prononcent contre la pertinence du projet et contre le déclassement de la Zone, pour 4 raisons détaillées ci-après :
(1) le contournement des règles préconisées par l’Etat ( DREAL), la Région Sud, le département et la Métropole.
(2) le manque d’études suffisantes pour conclure à l’impossibilité de construire ce projet sur un terrain plus adapté
(3) le danger d’anthropisation d’un espace actuellement protégé,
(4) les conséquences qu’aurait cette centrale sur la faune et la flore des collines de Levens.
La commune de Levens fait partie intégrante du territoire de la Métropole Nice-Côte d’Azur, qui est dotée d’un PLU métropolitain, approuvé le 25 octobre 2019. Le nouveau PLUm a été modifié le 21 octobre 2021 et est exécutoire depuis le 25 novembre 2021. L’une des orientations de son Plan d’Aménagement et de Développement Durable (PADD) est de promouvoir les énergies renouvelables, dont les filières de l’énergie solaire.
Dans ce cadre, la commune de Levens souhaite mettre au jour un parc photovoltaïque dans le but de valoriser la ressource solaire de son territoire auprès d’investisseurs monégasques.
Concrètement, il s’agit de créer, sur le mont Arpasse, une centrale solaire photovoltaïque d’emprise foncière de 11 hectares et de 8,5 hectares supplémentaires. L’équipement doit être construit, entretenu et exploité par une filiale de la Société monégasque de l’électricité et du gaz (SMEG).
Si les élus du Groupe écologiste saluent bien évidemment le recours aux énergies solaires et renouvelables pour tous les territoires, y compris ceux de la Principauté de Monaco, nous ne pouvons pas demeurer silencieux face à ce qui apparaît comme de graves contradictions sur le plan écologique.
- Le contournement des règles
Nous rappelons que des grands principes ont été édictés par la DREAL, par la Région Sud, par le département et par la Métropole:
La DREAL (direction Régionale de l’Environnement de l’Aménagement et du logement ) précise où implanter du photovoltaïque. « D’abord sur les toits des bâtiments publics et privés, les ombrières des parkings. Et seulement ensuite sur certaines zones au sol anthropisé, carrières ou anciennes décharges, et enfin au sol sous certaines conditions. »
Le « cadrage départemental pour le développement de l’énergie photovoltaïque dans les Alpes Maritimes » ne dit pas autre chose.
« En accord avec le cadrage régional, le photovoltaïque sur toitures et ombrières de parking doit être privilégié́ dans les Alpes-Maritimes.
L’implantation de parcs photovoltaïques au sol devra être réservée aux espaces déjà artificialises ou dégradés. Les modalités sont précisées dans le présent cadrage.
Les espaces et sites naturels, en raison de leur contribution à la qualité́ des sites et à la biodiversité́ et les espaces agricoles, particulièrement rares dans le département, sont à préserver strictement. »
Le schéma régional de développement durable de la Région Sud (SRADDET) enfonce le clou : « Le SRADDET appelle les territoires à soutenir les innovations et les installations dans le respect des objectifs de réduction de consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers et de préservation du patrimoine paysager. Localisation de la production photovoltaïque sur des surfaces déjà anthropisées, choix d’aménagement innovants et économes en énergie, les défis à relever sont nombreux. »
Le Plan Climat Air Energie Territorial de la Métropole Nice Côte d’Azur s’appuie sur le SRADDET et appuie la préservation des espaces naturels : « Le SRADDET appelle les territoires à soutenir les innovations et les installations dans le respect des objectifs de réduction de consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers et de préservation du patrimoine paysager. Localisation de la production photovoltaïque sur des surfaces déjà anthropisées, choix d’aménagement innovants et économes en énergie, les défis à relever sont nombreux.
Manque d’études suffisantes
Tout d’abord, à la lecture du dossier, nous sommes très désagréablement surpris par le peu d’études menées sur le terrain en vue de confirmer (ou d’infirmer) qu’il est bel et bien le plus adapté pour ce type de construction. Les documents mentionnent plusieurs études ayant supposément conduit au choix de cette parcelle. Pourtant, il apparaît que ce choix avait été fait par la Mairie de Levens et la société monégasque en charge de sa mise en œuvre dès 2018, soit plusieurs années avant le début des analyses de sites.
Il nous paraît inconcevable que les études comparatives aient été prises autant à la légère pour un projet de cette envergure, et aux enjeux environnementaux si conséquents. Le choix d’implanter une centrale photovoltaïque à Levens s’est donc fait en dehors de toute étude comparative sur le département, de toute étude alternative sérieuse, et, pire encore, en dehors des doctrines départementales et régionales qui imposent de ne construire ces centrales en zones naturelles qu’en dernier recours. Il est très clair que, dans ce dossier, le site de Levens n’est pas le dernier recours. De fait, toutes les recherches, les analyses les documents et les explications sont postérieures au choix de cette parcelle. Elles apparaissent comme des justificatifs a posteriori et non a priori.
D’ailleurs, l’avis de la Mission Régionale d’autorité environnementale met très bien en lumière l’opacité des motifs de ce projet, l’empressement de sa construction, ainsi que son incohérence environnementale, écologique et sociale. Celle-ci « regrette qu’une procédure commune d’évaluation et de participation du public, pour le projet de centrale et la mise en compatibilité du PLUm, n’ait pas été mise en œuvre comme le permettent les articles L122-14 et R122-27 du code de l’environnement. »
Afin de remédier à cela, la MRAe recommande notamment de :
– Justifier le déclassement du niveau d’enjeu du réservoir de biodiversité concerné par le secteur de projet ;
– Présenter des mesures de compensation plus abouties démontrant l’absence de perte nette de biodiversité. »
Nous ne pouvons qu’abonder en ce sens.
Artificialisation d’espaces naturels et contradictions politiques
On ne peut décorréler la lutte contre le climat et la protection de la biodiversité. Ces 2 enjeux sont vitaux pour la survie de l’Humanité.
Nous ne comprenons donc pas comment il est possible de justifier l’artificialisation d’espaces naturels protégés au nom du développement durable. L’implantation de centrales photovoltaïques est une très bonne nouvelle pour la production énergétique éco-responsable. Elle perd toutefois toute crédibilité si elle se fait au détriment de la nature qu’elle est censée préserver. Or, dans le cas de la centrale photovoltaïque de Levens, nous constatons que c’est exactement ce qu’il se passe puisque le projet prévoit le déclassement d’une zone naturelle.
Durant l’été 2022, la Métropole Nice-Côte d’Azur a lancé une concertation pour une révision de son Plan Local d’Urbanisme. Le préambule de cette révision expose que celle-ci « introduit, des mesures spécifiques de lutte contre l’artificialisation des sols avec pour objectif de réduire de moitié l’artificialisation des sols dans les dix prochaines années afin de tendre à un objectif de zéro artificialisation nette à l’horizon 2050. »
Pour protéger les milieux et les espèces qui y vivent, les documents d’urbanisme ont donc introduit les notions de « trames vertes et bleues » : des parties de territoire essentielles au maintien de la biodiversité. Le Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires en parle comme « une démarche qui vise à maintenir et à reconstituer un réseau d’échanges pour que les espèces animales et végétales puissent, comme l’homme, circuler, s’alimenter, se reproduire, se reposer […] et assurer ainsi leur cycle de vie. »
Or, le projet de centrale photovoltaïque de Levens se trouve en plein cœur de la trame verte et bleue. Elle se trouve donc là où l’enjeu écologique est le plus fort. Si les autorités donnent le feu vert à cette construction, la centrale va rendre la zone constructible et artificialiser ce lieu. Malgré les « compensations », cette zone préservée va devenir une zone urbaine sur laquelle il deviendra possible de bétonner les sols. Comment justifier cela par des arguments écologiques ? Il serait illusoire d’imaginer qu’il n’y aura pas d’impact sur la biodiversité.
Alors que les limites planétaires sont franchies une à une, il est urgent de stopper les projets d’artificialisation et de laisser à la nature des lieux exempts des nuisances humaines.
Face aux modifications que le projet provoquera inévitablement sur la zone et alentours, les documents qui nous sont présentés n’apportent aucune réponse environnementale. Ils se bornent à proposer des solutions administratives telles que des changements de zonage, des autorisations ou des dérogations qui permettront in fine de déloger des espèces protégées dont certaines sont en péril d’extinction.
Ainsi, vingt hectares d’une riche zone naturelle vont être sacrifiés. Nous ne pouvons pas l’accepter. Ce projet va à l’encontre du bon sens, de la biodiversité et des règles administratives en vigueur.
Menace pour les espèces animales
Enfin, ce projet représente une véritablement menace pour les espèces vivant sur ce territoire.
De manière scientifique, la biodiversité désigne la variété des formes vie sur Terre ainsi que les écosystèmes accueillant ces êtres vivants. Elle comprend toutes les interactions de ceux-ci à tous les niveaux d’échelles. De nombreux écosystèmes fournissent des services essentiels à notre bien-être collectif, ils permettent de réguler le climat en créant un équilibre à la base de la vie sur Terre. La biodiversité et tout ce qu’elle englobe sont donc indispensables au bon fonctionnement de notre planète. Or, selon le rapport « Planète Vivante » du World Wide Fund for Nature (WWF) « en 50 ans les populations d’animaux sauvages ont chuté de 69% » et malheureusement ce chiffre s’accroît d’année en année. Un million de plantes et d’animaux sont menacés d’extinction. Et pour beaucoup la sixième extinction des espèces est déjà là. Selon l’Institut de pharmacologie et de biologie structurale (IPBS) « une espèce sur huit est en danger de mort ». Ce n’est évidemment pas sans conséquence sur la vie humaine.
Les naturalistes connaissent l’importance du site de Levens. Il y a plusieurs espèces protégées sur ce site. Lorsqu’on lit l’avis de la Mission Régionale de l’Autorité Environnementale (octobre 2022), on apprend que « le porteur de projet » déposera une demande de dérogation à la préservation des espèces protégées concernant :
• trois espèces d’insectes: Magicienne dentelée, Damier de la Succise et Zygène de l’Esparcette ;
• six espèces de reptiles : Lézard ocellé, Couleuvre verte et jaune, Lézard à deux raies, Lézard des murailles, Coronelle girondine, Psammodrome d’Edwards ;
• huit espèces d’oiseaux (Bruant ortolan, Chardonneret élégant, Fauvette pitchou, Linotte mélodieuse, Pie-Grièche écorcheur, Pipit rousseline, Serin cini, Tarier pâtre). »
Sans compter la présence sur la commune d’une dizaine d’espèces de chauve-souris, dont toutes sont vulnérables et protégées en France.
Cette demande de dérogation signifie non seulement que certains animaux trouvent bel et bien refuge dans la trame verte et bleue de Levens, mais aussi et surtout que les autorités vont demander expressément à ne plus préserver ces espèces et donc, en détruisant leur milieu, à pouvoir les détruire.
D’autre part, ce projet ruine l’espace pastoral de l’Arpasse. Le berger devra désormais accompagner en camion les brebis de Porte Rouge qui paissent actuellement sur l’Arpasse jusqu’au col de Château Neuf. C’est évidemment inconcevable dans le cadre d’un projet visant à favoriser le mieux-être écologique.
Sur ce point, nous regrettons d’ailleurs que l’enquête publique soit réalisée sans la mise à disposition du dossier de dérogation au titre des espèces protégées. A ce titre, l’avis du CNPN ou du CSRPN aurait été un élément particulièrement éclairant pour le grand public.
Comme le souligne l’autorité environnementale et malgré les éléments apportés en réponse, l’absence de solution alternative à ce projet n’est pas réellement démontrée par le porteur de projet. Concernant la faune, les mesures de réduction d’impact sont dérisoires et inefficace (ex. : les nichoirs pour les oiseaux sont inadaptés aux espèces concernées). Par ailleurs, aucune mesure de compensation ne semble proposée alors même que le projet impacte le lézard ocellé, espèce menacée de disparition en France et qui fait actuellement l’objet d’un plan national d’action (PNA).
Encore une fois, dans ce domaine, les réponses apportées par les concepteurs de projet ne sont pas des réponses écologiques, naturelles, mais des pirouettes administratives. Ainsi la zone qui était classée zone 1 à enjeu écologique très fort sera transformée en zone 4 à enjeu écologique faible.
Conclusion et avis
Pour conclure, nous, élus de la Métropole Nice-Côte d’Azur et députée européenne, nous estimons que le projet de centrale photovoltaïque de Levens, tel qu’il est actuellement présenté, n’est pas cohérent sur le plan écologique. Il laisse l’amère impression que la Métropole Nice-Côte d’Azur brade ses espaces naturels au nom de grands principes qu’elle n’entend pas faire appliquer.
Nous sommes évidemment favorables à l’implantation de panneaux photovoltaïques pour la création d’électricité plus verte. Mais pas de cette manière, pas dans ces conditions.
Actuellement les objectifs de la France concernant le photovoltaïque sont de 100 gigawatts de production d’électricité d’ici à 2050. Pour atteindre cet objectif, il serait plus sensé d’implanter des panneaux sur les toitures ou des friches industrielles plutôt que de sacrifier des terres agricoles, naturelles et boisées.
Pour l’heure, il n’y a pas d’installation photovoltaïque sur de nombreux bâtiments publics de Levens, même les plus récents (Foyer Rural, complexe sportif du Rivet, parking au pied du village, crèche, école etc.). Il n’est pas prévu non plus d’en installer sur le futur collège du village. Cela est pourtant possible. Il convient d’utiliser les zones artificialisées du village avant d’utiliser des zones naturelles.
Nous refusons le déclassement de la zone naturelle protégée pour le terme fallacieux de zone « naturelle solaire » et qui n’est de fait qu’une zone constructible à terme.
Nous demandons une étude sur le potentiel d’implantation photovoltaïque sur les grandes toitures, et zones anthropisées, à l’échelle du département. Ces zones offrent l’avantage de ne présenter aucune concurrence d’usage, contrairement aux sols qui, eux, servent à bien d’autres finalités que la seule production d’énergie.
Le risque de ce type d’implantation est de monter les citoyens contre l’énergie solaire comme cela se passe en France contre les projets éoliens. Ce serait contre-productif.
La lutte contre le dérèglement climatique mérite mieux.
Juliette Chesnel-Le Roux Caroline Roose
Fabrice Decoupigny Députée Européenne
Jean-Christophe Picard
Hélène Granouillac
Conseillers métropolitains Nice Côte d’Azur